Carbone dans les sols : mise au point d’un modèle mathématique pour mieux comprendre le cycle de la matière organique

Le sol, là où tout commence et se termine. La matière organique du sol est une véritable clé de voûte de la sécurité alimentaire, de la biodiversité ou encore de l’atténuation du changement climatique. Les progrès techniques récents en sciences du sol et en microbiologie ont permis de mettre en évidence des processus de décomposition de la matière organique jusqu’alors insoupçonnés. Des chercheurs d’INRAE, de l’Université de Lorraine et d’AgroParisTech se sont associés pour développer un modèle mathématique innovant, qui intègre ces découvertes récentes. Leurs travaux financés par le LabEx ARBRE, sont publiés Nature Communications du 5 février 2021. Ils apportent un éclairage nouveau sur le cycle de la matière organique du sol.

Le sol, et plus particulièrement la matière organique (MO) qui le compose est de plus en plus au cœur des travaux de recherche, en raison de sa capacité à piéger le carbone atmosphérique et de son rôle majeur dans la santé des sols. La MO est composée de molécules carbonées très variées. De multiples acteurs microscopiques, les micro-organismes, agissent de concert pour la décomposer à l’aide de leurs outils que sont les enzymes. La compréhension de la dynamique de décomposition de la MO a considérablement progressé au cours des dernières années. Jusqu’à présent la MO était considérée comme un ensemble de composés difficiles à dégrader. Aujourd’hui, on considère que cette MO est faite d’un ensemble de molécules qui sont continuellement transformées par les micro-organismes pour devenir de plus en plus petites. Cette nouvelle vision remet en question les modèles existants de prédiction de la dynamique du carbone.

C’est pourquoi des chercheurs d’INRAE, de l’Université de Lorraine et d’AgroParisTech se sont associés, pour développer un modèle qui prend en compte les nouvelles données en chimie du sol et écologie microbienne. Baptisé C-STABILITY, ce modèle combine les approches mathématiques des différents modèles actuels et reproduit avec succès les processus de la dynamique de la MO. C-STABILITY traduit les transformations réalisées par les enzymes et les microbes du sol tout en mettant l’accent sur l’accessibilité de la MO.

Les simulations théoriques réalisées grâce à ce nouveau modèle mathématique apportent un éclairage nouveau sur la relation entre les micro-organismes décomposeurs, la chimie de la MO et le stock de MO. La structure mathématique flexible de C-STABILITY offre une base prometteuse pour l’exploration de nouvelles hypothèses de recherche sur la MO et pour améliorer l’évaluation de la capacité des sols à stocker le carbone.

Référence

Sainte-Marie, J., Barrandon, M., Saint-André, L. et al. C-STABILITY an innovative modeling framework to leverage the continuous representation of organic matter. Nat Commun 12, 810 (2021). https://doi.org/10.1038/s41467-021-21079-6

Photo : N. Pousse (ONF)

 

 

 

 

Production contrôlée de truffes blanches made in France

Tuber magnatum Pico, connue sous le nom de Truffe blanche du Piémont ou Truffe blanche d’Italie, est la truffe la plus rare et la plus chère. Elle est récoltée exclusivement en forêt dans quelques pays d’Europe, mais l’offre n’arrive souvent pas à combler la forte demande mondiale pour ce champignon. Depuis 2008, après 9 ans de recherches conjointes entre INRAE et les pépinières ROBIN, les premières plantations truffières ayant pour but sa culture ont pu être faites en France. La persistance de la truffe blanche a été vérifiée dans des truffières ayant de trois à huit ans, et dans l’une d’elles, âgée de quatre ans, les premières récoltes ont eu lieu en 2019. Les résultats scientifiques de ces travaux sont parus le 16 février dans la revue Mycorrhiza. La production de fructifications de T. magnatum dans une plantation hors de son aire de distribution naturelle est une première mondiale ouvrant la voie au développement de la culture de cette truffe en France mais aussi ailleurs dans le monde.

La truffe blanche italienne (Tuber magnatum Pico) est la star des truffes pour de nombreux grands restaurants gastronomiques à travers le monde. Son parfum particulier la rendait déjà unique dans les années 1700, alors que les princes de Savoie l’utilisaient dans leurs négociations diplomatiques. La fructification (truffe) de T. magnatum est produite par un champignon qui vit en symbiose avec des arbres tels que les chênes, les saules, les charmes et les peupliers. Cette truffe est récoltée naturellement en Italie, dans la péninsule balkanique, plus rarement en Suisse et dans le sud-est de la France. La production annuelle de cette truffe est de quelques dizaines de tonnes.

Depuis 2008, la pépinière ROBIN commercialise des arbres mycorhizés par T. magnatum suivant le procédé INRAE/pépinières ROBIN, sous licence et contrôle d’INRAE. Chaque plante est ainsi vérifiée individuellement avant sa commercialisation par des experts INRAE, ​​qui contrôlent la présence de la truffe en analysant des caractéristiques morphologiques et effectuant des analyses ADN. Dans un programme de recherche conjoint INRAE/pépinières ROBIN, cinq plantations françaises ont été étudiées. Le premier résultat est la persistance dans le sol trois à huit ans après plantation de la truffe blanche pour quatre plantations réparties dans des régions au climat différent (Rhône-Alpes, Bourgogne Franche Comté et Nouvelle Aquitaine). Le principal résultat de ce travail a été la récolte en 2019 de trois truffes et quatre en 2020 dans la plantation de Nouvelle-Aquitaine. Ces truffes sont ainsi les premières récoltées dans une plantation en dehors de l’aire de répartition géographique naturelle de cette espèce.

La trufficulture connaît un essor mondial depuis quelques années. En France, elle se développe également dans de nombreuses régions en permettant aux agriculteurs de se diversifier tout en respectant l’environnement : c’est une culture agroécologique ne nécessitant pas d’intrants chimiques et favorisant la biodiversité. Les résultats de cette étude ouvrent la voie à la culture de T. magnatum hors de sa zone de distribution naturelle, à condition de planter des plants mycorhizés de haute qualité dans des sols adaptés et d’appliquer une gestion appropriée des plantations.

Cette première mondiale a été saluée par Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la Ruralité.

Référence

Bach, C., Beacco, P., Cammaletti, P. et al. First production of Italian white truffle (Tuber magnatum Pico) ascocarps in an orchard outside its natural range distribution in France. Mycorrhiza (2021). https://doi.org/10.1007/s00572-020-01013-2

Effet du mélange d’essences en forêt sur l’exposition à la sécheresse chez le hêtre

Dans le cadre d’un projet de recherche du Labex ARBRE, une nouvelle étude intitulée “Mixing beech with fir or pubescent oak does not help mitigate drought exposure at the limit of its climatic range” vient d’être publiée dans la revue Forest Ecology & Management par Soline Martin-Blangy et ses collaborateurs (UMR Silva, UMR ISPA, UMR Biogeco, UMR CEFE).

Dans cet article, les auteurs se sont intéressés à l’effet du mélange d’essences en forêt sur l’exposition à la sécheresse chez le hêtre (Fagus sylvatica) dans le sud-est de la France (sur un gradient nord-sud allant du massif des Bauges au massif de la Sainte-Baume), une région aux limites de son aire de répartition. Il s’agissait de déterminer si la gestion du hêtre dans cette région en peuplement pur ou mélangé avec le sapin (Abies alba) (dans la partie Nord) ou le chêne pubescent (Quercus pubescens) dans la partie sud) pourrait atténuer l’impact de sécheresses.

Cette étude avait pour but de (i) caractériser les effets des interactions des espèces sur l’exposition à la sécheresse du hêtre (évaluée avec la composition isotopique du carbone (δ13C) dans des cernes de croissance du bois), et (ii) déterminer si des complémentarités de profondeur d’acquisition de l’eau par les racines des différentes espèces peuvent expliquer ces effets (évaluée avec la composition isotopique de l’hydrogène (δ2H) dans l’eau du xylème).

Les auteurs n’ont pas trouvé de tendance globale d’un effet du mélange d’espèces sur le fonctionnement physiologique du hêtre pendant des années sèches. Dans les sites avec le mélange hêtre-sapin, la présence du sapin avec le hêtre n’a pas eu d’effet sur le δ13C du hêtre pendant des années sèches. Dans les sites avec le mélange hêtre-chêne, la présence du chêne était neutre en général, sauf dans quelques situations où le hêtre semblait subir une plus forte exposition à la sécheresse en présence du chêne. Des différences de profondeur d’extraction de l’eau par les racines estimée au cours d’un été sec ont été observées entre le hêtre et le sapin, mais pas entre le hêtre et le chêne pubescent. Cependant, ces mécanismes de complémentarité d’acquisition de l’eau dans les peuplements étudiés ne semblent pas être à l’origine des tendances observées sur l’impact de la présence de ces autres espèces sur l’exposition à la sécheresse du hêtre.

Cette étude démontre que la gestion du hêtre en peuplements mélangés avec le sapin ou le chêne pubescent dans cette région n’atténue pas les effets négatifs de la sécheresse sur le hêtre. Sur le long terme, avec des sécheresses de plus en plus fréquentes, privilégier les mélanges hêtre-sapin dans cette région ne semble pas être néfaste pour la croissance et la survie du hêtre. Au contraire, la présence du chêne pubescent dans des peuplements de hêtre pourrait être néfaste pour le hêtre.