Nutrition et résilience à la sécheresse

Doctorant :  Yoran Bornot
Université / Institution :  Université de Lorraine
Durée du contrat — Trois ans  (2013-2016)

Titre de la thèse — Effet du statut nutritif des arbres sur leur résilience à la sécheresse

Équipe d’accueil et encadrant(s)— 
Équipe : Équipe PhytoEcologie, UMR INRA-UL (1137) Écologie et Écophysiologie Forestières (EEF)

Directeur de thèse:  Nathalie Bréda
Co-directeur de thèse:  Stéphane Ponton

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Contexte — Des travaux en dendroécologie effectués dans notre laboratoire ont mis en évidence l’effet dépressif que pouvait avoir l’apport d’azote, et dans une moindre mesure de phosphore, sur la sensibilité de l’épicéa et du hêtre (Picard et al. 1999) ou du sapin (Becker 1992) à la sécheresse. Ils ont également souligné, à l’inverse, l’impact positif des apports de calcium sur la résilience de ces espèces à la sécheresse. Plus récemment, l’analyse de dépérissements de Douglas, dans le cadre du projet ANR Dryade, a mis en évidence une meilleure reprise de croissance après une succession de sécheresses sévères sur les peuplements installés sur sols à meilleure richesse trophique (Sergent et al. 2012).

Bien que les pratiques de fertilisation et d’amendement soient assez répandues, notamment en Europe du nord, leurs effets sur le fonctionnement des arbres sont encore très largement méconnus. Ainsi, il est la plupart du temps impossible d’expliquer les résultats contradictoires observés entre espèces (Sikstrom 1997), entre les effets d’un nutriment ajouté seul ou en association (Picard et al. 1999), ou encore l’effet des doses des fertilisants (Saarsalmi et al. 2012).

Par ailleurs, la croissance radiale et la concentration en réserves glucidiques de chênes ont été réduites par le déficit hydrique subi en 2003, induisant des mortalités différentes selon l’intensité des déficits hydriques et éventuellement la richesse trophique des massifs étudiés. La dégradation transitoire puis la récupération de l’état des cimes d’une hêtraie dans les Vosges avait été meilleure après 2003 dans une parcelle amendée comparativement à une parcelle témoin (Ponton et al. 2009). Un travail de thèse récemment mené dans l’équipe (Genet 2009, dirigé par N. Bréda) a montré que, contrairement à l’hypothèse formulée à l’issue des observations de mortalité post-2003, la fertilisation n’avait pas d’effet significatif durable sur les schémas d’allocation du carbone dans le contexte étudié (hêtre et chêne, dispositif INRA de la FD des Potées). Par ailleurs, il a été montré que le chaulage : (1) augmente l’allocation à la fonction reproduction (Garbaye & Leroy 1974), et (2) influence durablement les communautés d’ectomycorhizes (Rineau et al. 2010) dont le rôle dans la résistance à la sécheresse des arbres a par ailleurs été montré (Parke et al 1983, Garbaye & Churin 1997).

Objectifs et questions de recherche — Il s’agira de déterminer quelles fonctions de l’arbre sont impactées à long terme par une modification de son statut nutritif et qui pourraient lui conférer une meilleure résilience, ou au contraire l’exposer davantage à des évènements de fortes contraintes hydriques. Cette question sera posée pour deux espèces, le chêne sessile (Quercus petraea) et le sapin de Douglas (Pseudotsuga menziesii), aux fonctionnements hydrique, carboné et nutritionnel a priori contrastés. Les deux espèces font l’objet de réflexions des gestionnaires en termes de stratégie d’adaptation au changement climatique, une des pistes étant d’améliorer leur résilience aux aléas sécheresse.

Les recherches menées in situ  auront aura pour objectif de valider ou d’infirmer plusieurs hypothèses élémentaires et non indépendantes. Un travail d’intégration visera ensuite à concilier les mécanismes mis en évidence dans un schéma de compréhension générale. Cette conceptualisation contribuera à l’effort collectif de modélisation entrepris dans le projet multidisciplinaire QLSPIMS du Labex Arbre et avec l’unité ESE.

Hypothèses à tester :

1. Le changement de fertilité du sol modifie l’acquisition de carbone. Lorsque la fertilité du sol est améliorée, plus que la photosynthèse elle-même (Green & Mitchell 1992, Dreyer et al. 1994), ce sont la quantité (surface foliaire) et la qualité (masse spécifique, teneur en azote) du feuillage qui sont modifiées.

2. Le changement de fertilité du sol améliore l’acquisition des ressources hydro-minérales en modifiant la distribution et le fonctionnement des racines. Lorsque la fertilité du sol est améliorée :

2.1. le profil vertical de distribution des racines fines n’est pas modifié (Fabiao et al. 1995, Genet 2009)

2.2. l’efficience d’acquisition de l’eau et la conductance hydraulique totale sont améliorées grâce aux mycorhizes. La communauté de symbiontes fongiques et leurs fonctions enzymatiques sont modifiées (Rineau & Garbaye 2009, Rineau et al. 2010) et permettent à l’arbre, en cas de contrainte hydrique, l’accès à un réservoir d’eau et de nutriments plus grand (Tobar et al. 1994, Courty et al. 2007, Rennenberg et al. 2009).

3.  Le changement de fertilité du sol modifie les schémas d’allocation du carbone [diminution de l’allocation de C aux racines (Ericsson 1995, Bakker et al. 1999, Litton et al. 2007, Epron et al. 2011) et réduction du turn-over des racines fines (Bakker 1999), modification des relations allométriques des arbres (aubier/surface foliaire), augmentation (Wargo 2002) ou diminution (Goodsman et al, 2010) du stockage de réserves dans les racines, augmentation de l’allocation à la fonction reproduction (Garbaye & Leroy 1974)].

Originalité du projet — Les effets des amendements sur la croissance des arbres et sur les sols ont été bien identifiés par des travaux déjà anciens conduits en collaboration entre notre équipe et l’unité Biogéochimie des Ecosystèmes Forestiers d’une part ou avec l’UMR Interaction Arbre-Microorganismes d’autre part. Cependant, les processus écophysiologiques impliqués dans l’amélioration de la résilience à la sécheresse par l’état nutritionnel de l’arbre ont été peu étudiés de manière couplée entre les différents compartiments sol, rhizosphère, arbre. Ceci constitue une marge de progrès importante qui a d’ailleurs bien été identifiée par nos équipes et constitue le projet “structurant” QLSPIMS financé par le Labex Arbre.

L’originalité du travail de thèse réside aussi dans le choix d’étudier des arbres adultes sur une échelle de temps longue. Nous prenons résolument le parti de considérer l’expression des mécanismes écophysiologiques mis en jeu par le changement de statut nutritif sur de longues périodes et durables dans le temps. Les réponses à court-terme seront abordées dans des travaux compagnons dans le cadre du Labex.

Enjeux scientifiques et socio-économiques   Les forêts françaises sont souvent installées sur des sols que l’agriculture a délaissés à cause de leur fertilité médiocre ou de contraintes pour leur mise en valeur agronomique (topographie, pierrosité, hydromorphie,…). Bien que la forêt elle-même permette un enrichissement en matière organique grâce aux retombées annuelles de litières, l’exploitation forestière peut concourir à abaisser la fertilité minérale du sol, à long terme, en stockant puis en exportant une partie des éléments minéraux dans la biomasse ligneuse. La valorisation économique récente et grandissante des résidus d’exploitation (branches, écorces, …) pour la production de biomasse-énergie et le raccourcissement des rotations pour réduire l’exposition aux aléas climatiques ne font qu’accroître ce phénomène (Ranger et al. 2002). Pour remédier aux carences minérales ou aux déséquilibres nutritionnels, induits par la gestion et par les dépôts atmosphériques azotés, des opérations de fertilisation ou d’amendement tendent à se répandre dans les forêts françaises, en particulier sur les sols acides. Des restitutions de cendres de chaufferies sont également envisagées.

Par ailleurs, les changements climatiques attendus exposeront les forêts à des épisodes de sécheresse estivale plus fréquents et plus extrêmes que par le passé. L’effet du niveau de fertilité du sol sur la résistance ou sur la résilience des arbres adultes exposés à des épisodes de contraintes hydriques fortes est pour l’instant mal connu. Différentes études ont montré que les déséquilibres nutritionnels pouvaient être un facteur de vulnérabilité au dépérissement des peuplements forestiers sur sol acide (Zoettl et al. 1989, Huettl et al. 1990, Le Goaster et al. 1990). Par ailleurs, des observations faites sur les dispositifs expérimentaux de fertilisation et d’amendement montrent des sensibilités distinctes des arbres aux sécheresses, selon le traitement nutritif appliqué. Les gestionnaires anticipent des stratégies d’adaptation face au changement climatique combinant raccourcissement des rotations, intensification des exportations et compensation par des amendements. L’étude de l’interaction entre nutrition minérale et alimentation hydrique nous apparaît aujourd’hui comme une étape clé pour l’appréhension de la résilience des peuplements forestiers.

Equipements disponibles, matériel et approches méthodologiques  Le travail de thèse utilisera plusieurs dispositifs de fertilisation/amendement mis en place par l’INRA, le FCNA ou l’ONF qui permettront de comparer des arbres croissant dans des conditions de fertilité différentes. La sélection des dispositifs s’appuiera aussi sur l’évaluation des bilans hydriques, pour disposer d’années de sécheresses sévères survenues depuis l’application du traitement.

Les hypothèses 2.1 et 2.2 seront testées par la description quantitative de la distribution verticale des racines fines (prélèvements, endoscopie, cartographies sur front de fosses pédologiques) ainsi que par le suivi de transpiration (flux de sève) et des potentiels hydriques foliaires estivaux. L’hypothèse 2.2. sera également évaluée par inventaires de morphotypes sur apex racinaires, et éventuellement dissection pour tests enzymatiques (en collaboration).

Des mesures directes des paramètres clés permettront de tester les hypothèses 1 (LAI, masse surfacique) et 3 (composés glucidiques et azotés dans le tronc et les racines).

La résilience à la sécheresse sera appréhendée par l’analyse rétrospective de la croissance radiale annuelle (dendrochronologie) suivant un épisode de fortes contraintes hydriques. L’estimation rétrospective du niveau de contraintes hydriques sera réalisée par calculs de bilan hydrique journalier. Un stage de master II réalisé en amont de la thèse, au 1er semestre 2013, permettra d’identifier les dispositifs les plus adéquats.

En complément de l’analyse dendrochronologique, des approches dendroisotopiques (d13C, d18O, d15N) et dendrochimiques (Mg, Ca, Mn) seront mobilisées pour caractériser la dynamique à long terme de la réponse des arbres à la fertilisation (et permettront d’aborder les hypothèses 1.1 et 2.1 principalement).